2010/08 > Brevetabilité des logiciels : L’office européen des brevets confirme sa jurisprudence par un avis de sa grande chambre de recours
La Grande Chambre de Recours de l’Office Européen des Brevets vient de rendre son avis : la saisine G3/08 du 23 octobre 2008 portant sur plusieurs questions relatives à la brevetabilité des programmes d’ordinateurs est irrecevable.
La Grande Chambre de Recours considère en effet, après avoir reconnu l’importance du sujet, que les décisions fondamentales en la matière ne présentent pas le caractère « divergent » nécessaire à la recevabilité de ladite saisine aux termes de l’Art 112 (1)(b) CBE.
Cependant, même s’il n’apporte pas de réponse directe aux questions posées, cet avis présente l’intérêt de poser clairement la Jurisprudence sur l’exclusion des programmes d’ordinateurs d’une part (1.) et sur l’appréciation de la nouveauté et l’activité inventive pour les inventions mises en œuvre par ordinateur d’autre part (2.). Il apporte aussi des précisions quant à la forme des revendications (3.)
On rappelle de façon liminaire que selon l’Art 52(1) CBE, les brevets sont délivrés pour toute invention, dans tous les domaines technologiques, à condition qu’elle soit nouvelle, qu’elle implique une activité inventive, et qu’elle soit susceptible d’application industrielle.
Cependant, le second paragraphe de l’Art 52 contient une liste d’objets qui ne sont pas considérés comme des inventions au sens du premier paragraphe.
La vérification du premier critère visant à déterminer si l’objet revendiqué est une invention au sens de l’Art 52(1) CBE ou s’il fait partie des exclusions de l’Art 52(2) CBE est un pré requis pour l’examen des critères de brevetabilité intrinsèques que sont la nouveauté, l’activité inventive et l’application industrielle.
1. Sur l’exclusion des programmes d’ordinateurs (Art 52(2)(c), 52(3) CBE)
1.1 La décision IBM (T1173/97) reste fondamentale sur deux aspects :
a/ Sur l’effet technique supplémentaire : Selon la décision IBM, les programmes d’ordinateurs doivent être considérés brevetables, dès lors qu’ils présentent un caractère technique, à savoir un effet technique supplémentaire, allant au-delà du simple effet technique résultant des interactions physiques normales entre le logiciel et le matériel de l’ordinateur, ces interactions étant induites par l’exécution des instructions du programme d’ordinateur (génération de courants électriques par exemple).
b/ Sur l’abandon de la « contribution approach » :
Selon la « contribution approach » appliquée dans certaines jurisprudences des Chambres de Recours de l’OEB (T38/86), il était considéré que seules étaient brevetables les inventions apportant une contribution à l’état de la technique dans un domaine non exclu de la brevetabilité.
Il est fondamental de retenir que la décision IBM (ainsi que la décision T931/95 notamment) rejette cette approche, considérant qu’il n’est pas approprié de comparer l’objet revendiqué avec l’état de la technique pour déterminer si cet objet est une invention au sens de l’Art 52(1) CBE.
Par conséquent, il n’est pas nécessaire que l’effet technique supplémentaire pris en compte pour déterminer si un programme d’ordinateur entre ou non dans la catégorie des inventions soit nouveau.
1.2 La décision HITACHI (T258/03) pose le principe selon lequel une revendication mettant en œuvre des moyens techniques ne doit pas être exclue de la brevetabilité au sens de l’Art 52(2) CBE.
Selon cette décision, une méthode impliquant l’utilisation de moyens techniques échappe donc à ces exclusions.
Il n’en reste pas moins que pour être brevetable, une telle méthode doit être nouvelle, constituer une solution technique non évidente à un problème technique et être susceptible d’application industrielle.
Ces points sont abordés ci-après.
2. Sur l’appréciation de la nouveauté et de l’activité inventive
Il est de jurisprudence constante qu’une invention, pour être brevetable, doit satisfaire aux conditions de nouveauté, d’activité inventive et d’application industrielle, mais aussi présenter un caractère technique, condition implicitement requise par la notion même « d’invention » au sens de l’Art 52(1) CBE.
La méthode d’appréciation de l’activité inventive actuellement suivie par l’OEB est exposée dans la décision DUNS (T154/04) : l’examen de la nouveauté et de l’activité inventive ne doit se baser que sur les seules caractéristiques techniques de la revendication ; les caractéristiques non techniques, dès lors qu’elles n’interagissent pas avec les caractéristiques techniques dans la résolution du problème technique sont ignorées.
Il est bien entendu qu’une revendication comportant à la fois des caractéristiques techniques et non techniques est admissible.
On rappelle que dans le cadre de l’approche problème-solution appliquée pour l’appréciation de l’activité inventive, le problème résolu par l’invention doit être de nature technique (décision COMVIK T641/00). Ce problème peut cependant être formulé comme un but à atteindre dans un domaine non technique.
D’une façon générale, la seule présence de moyens techniques usuels (ordinateur, réseau, …) ne suffira pas à justifier le caractère inventif, la mise en œuvre d’une méthode non technique par de tels moyens techniques étant considérée comme relevant des connaissances de l’homme du métier.
3 Sur la forme des revendications
La page 6 de la saisine soulevait une question sur la forme des revendications relatives aux inventions mises en œuvre par ordinateur. Plus précisément, la saisine fait état d’une différence selon laquelle :
– selon la décision IBM (T1173/97), revendiquer le programme d’ordinateur pour lui-même ou sur un support matériel devrait être sans importance au vu de l’exclusion de la brevetabilité selon l’Art 52(2) EPC ; alors que :
– selon la décision Microsoft (T424/03),
- seule une revendication de la forme « Programme d’ordinateur pour la mise en œuvre d’une méthode x » pouvait être exclue de la brevetabilité en tant que programme d’ordinateur en tant que tel ; mais en tout état de cause que :
- l’objet d’une revendication de la forme « Méthode x mise en œuvre par un ordinateur » ou de la forme « Produit programme d’ordinateur mémorisant un code exécutable pour la mise en œuvre de la méthode x » ne pouvait en être exclue, quelle que soit la nature de la méthode x.
Selon l’avis de la Grande Chambre de Recours, cette différence ne constitue pas une divergence au sens de l’Art 112 (1)(b) CBE et la saisine est irrecevable sur ce point.
La Grande Chambre poursuit en relevant que la position exprimée dans la décision IBM est isolée, alors que celle de la décision Microsoft, ultérieure qui plus est, a été reprise dans de nombreuses décisions.
Elle sera donc privilégiée.
4. Conclusion
En conclusion, et en pratique, nous retiendrons qu’une revendication échappe aux exclusions des Art. 52(2)(c) et 52(3) CBE dès lors qu’elle met en œuvre des caractéristiques techniques.
La revendication étant appréciée dans son ensemble, sans prendre en compte l’état de la technique, il est relativement aisé d’échapper à cette exclusion.
Cette première détermination ayant été effectuée, l’examen de la nouveauté et de l’activité inventive est effectué, sur la base des seules caractéristiques techniques de la revendication, selon l’approche problème-solution définie au passage C-IV-11.5 des Directives relatives à l’Examen pratiqué à l’Office européen des brevets.
Dans le cas d’une invention mise en œuvre par ordinateur, les caractéristiques produisant un effet technique supplémentaire, à savoir un effet technique allant au-delà des interactions physiques normales entre le logiciel et le matériel de l’ordinateur seront prises en compte.
Il peut donc être retenu que l’Examen pratiqué par l’Office Européen des Brevets pour les inventions portant sur des programmes d’ordinateur ne diffère pas fondamentalement de l’examen pratiqué pour les autres types d’inventions.