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2017/07 > Le goût d’une denrée alimentaire : une œuvre protégée par droit d’auteur ?

Dennis Voerman est le créateur d’une pâte  à tartiner « Heks’nkaas » à grand succès. Il a cédé en 2011 à la société Levola, les droits d’auteur attachés à la recette, aux modes de préparation et aux caractéristiques gustatives de son produit.

Levola confronté à la commercialisation d’une pâte concurrente « Witte Wievenkaas » par la société Smilde, a assigné celle-ci en justice pour contrefaçon de ses droits d’auteur.

Levola a ainsi demandé de faire interdiction à Smilde de fabriquer et commercialiser son produit au motif que le « Witte Wievenkaas » reproduirait le goût original de la pâte à tartiner « Heks’nkaas », et que sa consommation provoquerait la même impression sur les sens gustatifs, impression constituée de la combinaison de goûts particuliers et de la « sensation en bouche» provoquée par la viscosité et la consistance du produit.

Le Tribunal néerlandais a rejeté en première instance par jugement du 10 juin 2015, cette demande aux motifs que Levola n’avait pas indiqué quels éléments ou combinaison d’éléments du goût du produit « Heks’nkaas » étaient originaux et empreints de la personnalité de leur auteur. Le tribunal avait précisé dans sa décision qu’il ne lui appartenait pas de procéder à une dégustation.

Cette question n’est pas sans rappeler la question de la protection des parfums par le droit d’auteur qui, si elle n’a pas été tranchée par la Cour de Justice, a fait l’objet de nombreux débats. Saisis en appel, les juges vont procéder en premier lieu à une étude du droit et de la jurisprudence en la matière.

Après avoir cité l’article 9 alinéa 1 des accords OMC, ratifié par décision du Conseil le 22 décembre 1994, ils rappellent, les dispositions de l’article 2, alinéa 1 de la Convention de Berne (Acte de Paris du 24 juillet 1971) pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, à laquelle les différents Etats membres de l’Union européenne sont parties, qui visent en tant qu’œuvre protégeable, « toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression ».

Ils font ensuite référence aux dispositions de la Directive 2001/29/CE  du Parlement et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ainsi qu’à l’arrêt Infopaq du 16 juillet 2009 (CJUE, 16 juillet 2009 n°C–5/08) pour indiquer que le droit d’auteur n’a vocation à s’appliquer qu’au regard d’une création intellectuelle propre à son auteur.

Abordant ensuite le droit national, ils citent alors un arrêt de la Cour Suprême néerlandaise aux termes duquel les limites de la capacité de l’odorat humain à distinguer des odeurs et le fait que cette capacité soit différente d’un individu à l’autre n’enlèvent pas le caractère d’œuvre à une odeur tant que celle-ci constitue une production perceptible par l’homme, qu’elle dispose d’un caractère propre et original et porte l’empreinte de la personnalité de son auteur. (HR, 16 juin 2006, LJN AU8940, Kecofa/Lancôme).

On se souvient qu’en France la Cour de Cassation qui exige que la création prenne une forme matérielle et concrète, a refusé quant à elle, de reconnaître qu’un parfum puisse être protégé par droit d’auteur au motif «que le droit d’auteur ne protège les créations dans leur forme sensible, qu’autant que celle-ci est identifiable avec une précision suffisante pour permettre sa communication; que la fragrance d’un parfum, qui, hors son procédé d’élaboration, lequel n’est pas lui-même une œuvre de l’esprit, ne revêt pas une forme présentant cette caractéristique, ne peut dès lors bénéficier de la protection par le droit d’auteur » (Cass. Com., 10 décembre 2013, pourvoi 11-19872).

Les Juges d’Appel du Tribunal de Arnhem-Leeuwarden, dans leur arrêt du 23 mai 2017 (aff n° 200.178.423) considèrent pour leur part qu’il existe un doute sérieux s’agissant de savoir si et dans quelle mesure le goût d’une denrée alimentaire peut être protégé par le droit d’auteur et qu’une décision Cour de Justice de l’Union Européenne est nécessaire pour leur permettre de trancher le litige qui leur est soumis.

Ils posent ainsi les questions suivantes (aff n°272772) :

  1. Le droit de l’Union s’oppose-t-il à ce que le goût d’une denrée alimentaire en tant que création intellectuelle propre du créateur soit protégé par le droit d’auteur ?
  2. Dans l’affirmative, quelles exigences s’appliquent pour une telle protection ?

La CJUE devra définir en premier lieu ce qui peut constituer une œuvre susceptible d’être protégée par droit d’auteur, et ainsi si une création perceptible par le goût peut être considérée comme telle, avant d’envisager les conditions de sa protection.

Par ailleurs, une création perceptible par le goût ou l’odorat se caractérise par son instabilité potentielle et le caractère subjectif de sa perception par le consommateur. Il conviendra pour la Cour de déterminer si ces éléments font obstacle à une protection par le droit d’auteur.

De même les articles 2 et 5 de la Directive 2001/29/CE  se réfèrent, s’agissant de définir les droits exclusifs de l’auteur, à la notion de reproduction, assortie de différentes exceptions. La Cour devra aussi décider si le système ainsi prévu est compatible avec la protection par droit d’auteur du goût d’une denrée alimentaire.

Il sera intéressant de voir si la Cour de Justice s’empare de ce sujet et ouvre des perspectives de protection à ces créations atypiques que sont les parfums ou les denrées alimentaires.

On se souviendra aussi que le nouveau Règlement Marque (UE) du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 a supprimé l’exigence de la représentation graphique lors du dépôt d’une marque pour se référer à une représentation qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l’objet dont la protection est demandée, si bien qu’il n’est pas exclu que les odeurs puissent être déposées dans le futur à titre de marque.

Une révolution est peut-être en marche….

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