2021/10 > Pièces détachées automobiles : la clause de réparation en définitive adoptée
Le 24 août 2021, est parue au Journal officiel la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Elle introduit en droit français, dans son article 32, une clause dite de réparation pour les pièces destinées à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque, au sens de l’article L. 110-1 du code de la route.
Ces pièces correspondent tout particulièrement aux rétroviseurs, ailes, capots, pièces d’optique ou de vitrage.
Aujourd’hui en France, le droit d’auteur et le droit des dessins et modèles sont susceptibles de protéger les pièces détachées automobiles si elles répondent aux conditions d’originalité pour le droit d’auteur, et aux conditions de caractère apparent, nouveauté et de caractère propre pour le droit des dessins et modèles.
Ces pièces détachées sont à la fois les pièces dites de première monte, correspondant à la première incorporation de la pièce dans le produit fini neuf, et les pièces de seconde monte, à savoir les pièces de réparation.
Le constructeur automobile, pour les pièces protégées, peut s’opposer à la reproduction et à la fabrication de ces pièces par un tiers non autorisé et ainsi, pour les pièces de seconde monte, contrôler le marché de la réparation.
Le sujet des pièces détachées, tout particulièrement dans le secteur automobile est loin d’être nouveau (voir précédent Flash). On se souviendra ainsi que lors de l’adoption de la directive 98/71 du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins ou modèles, les Etats membres n’avaient pu s’accorder sur le statut à donner à ces pièces et qu’au final, il avait été prévu dans la directive qu’ils ne pouvaient modifier leur législation nationale que dans le sens d’une libéralisation du marché.
Depuis, plusieurs tentatives en ce sens ont été entreprises en France. Ainsi, fin 2019, dans le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM) adopté par l’Assemblée nationale, avait été introduit par amendement, un article relatif à la libéralisation du marché des pièces détachées visibles. Cette disposition fut censurée par le Conseil constitutionnel en tant que « cavalier législatif ». En effet, un amendement pour pouvoir être adopté doit avoir un lien suffisant, même indirect, avec le projet ou la proposition de loi déposée. A défaut, l’amendement en question peut être censuré.
Moins d’un an plus tard en 2020, dans un nouveau véhicule législatif, le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), une nouvelle « clause de réparation » fut proposée et à nouveau censurée par le Conseil constitutionnel pour la même raison.
Cette 3ème tentative est donc la bonne : l’article 32 de la loi n°2021-1104 vient ainsi libéraliser le marché des pièces détachées automobiles dites visibles. Ces dispositions codifiées dans le Code de la propriété intellectuelle entreront en vigueur au 1er janvier 2023.
L’article 32 modifie ainsi en profondeur la protection attachée aux pièces dites de seconde monte, s’agissant des pièces visibles identiques à la pièce d’origine, utilisées afin de rendre au véhicule l’apparence initiale qu’il avait lors de sa mise sur le marché, comme avait pu le définir la Cour de Justice de l’Union européenne dans son arrêt du 20 décembre 2017 (CJUE n°C-397/16 et C-435/16 du 20 décembre 2017).
- A propos du droit d’auteur
La première modification fondamentale apportée par cet article concerne le droit d’auteur susceptible d’être attaché à ces pièces.
L’article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle modifié prévoit ainsi une nouvelle exception aux droits que peut revendiquer l’auteur et dispose dans son 12° que celui-ci ne peut interdire, une fois l’œuvre divulguée, « la reproduction, l’utilisation et la commercialisation des pièces destinées à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque , au sens de l’article L. 110-1 du code de la route».
Aucun droit d’auteur ne pourra plus désormais être revendiqué sur les pièces détachées visibles de seconde monte.
Il s’agit d’une limitation nouvelle et importante. Le droit d’auteur vient en effet souvent suppléer en France l’absence de protection au titre des dessins et modèles sur ces pièces, faute de dépôt.
- A propos du droit des dessins et modèles
La limitation apportée en matière de dessins et modèles est double.
En premier lieu, pour les pièces détachées destinées à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque, la durée de protection au titre des dessins et modèles est ramenée de 25 ans au plus, à 10 ans au plus (article L.513-1 du Code de propriété intellectuelle).
En second lieu, plus spécifiquement, il est prévu une nouvelle exception à l’exercice des droits de dessins et modèles par leur titulaire. En effet, il résulte du point 4 de l’article L.513-6 du Code de la propriété intellectuelle modifié, que ce dernier ne pourra faire valoir ses droits à l’encontre des actes visant à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque, au sens de l’article L. 110-1 du code de la route, et qui a) Portent sur des pièces relatives au vitrage ou b) (…) sont réalisés par l’équipementier ayant fabriqué la pièce d’origine.
Ainsi on peut identifier trois cas de figure :
– L’ensemble des équipementiers, ayant fabriqué la pièce d’origine ou indépendant, pourra commercialiser les pièces de vitrage librement sans contrevenir au droit des dessins et modèles
– L’équipementier ayant fabriqué la pièce d’origine pourra commercialiser toute pièce détachée visible automobile, notamment rétroviseurs, optique ou carrosserie, de la même manière que le constructeur
– L’ensemble des équipementiers indépendants pourra produire et commercialiser les autres pièces détachées visibles, à la fin d’une période de 10 ans à partir de l’enregistrement du dessin ou modèle, contre 25 ans aujourd’hui au plus.
Ces modifications importantes ont été introduites pour favoriser la concurrence avec pour but recherché de réduire le prix des pièces de rechange visibles au bénéfice du consommateur et de permettre aux équipementiers français d’être plus compétitifs face à d’autres équipementiers européens ou encore américains dont les pays prévoient déjà ce mécanisme de « clause de réparation ».
Ainsi, l’Espagne, l’Italie ou encore le Royaume-Uni ont renoncé depuis plusieurs années à une protection sur les pièces détachées de rechange visibles.
L’Allemagne a elle aussi, récemment modifié sa législation pour exclure la protection des dessins et modèles déposés à partir du 2 décembre 2020. Cette nouvelle exclusion concerne les pièces détachées de produits complexes utilisées uniquement dans le but de permettre la réparation de ce produit et de restaurer son apparence originale, à condition toutefois que les consommateurs soient informés de l’origine de la pièce détachée qu’ils achètent.
En France, l’adoption de ces dispositions relatives au marché de l’automobile à l’occasion d’une loi portant lutte contre le dérèglement climatique pourrait sembler paradoxale. Le paradoxe n’est toutefois qu’apparent puisqu’il s’agit de faire en sorte que les véhicules automobiles soient mieux entretenus par leurs propriétaires, et produisent moins de déchets.
L’article 32 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 met en tout cas pour le moment, un terme dans notre pays, au moins partiellement, à une lutte entre constructeurs automobiles et fabricants et revendeurs de pièces détachées qui aura duré plusieurs décennies.