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2013/10 > A la recherche du lieu du fait dommageable…

La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) vient de rendre une décision importante en matière de compétence territoriale en cas d’atteinte à un droit de propriété intellectuelle sur internet (C-170/12, 3 octobre 2013).

Une société autrichienne avait été assignée devant le tribunal de grande instance de Toulouse (TGI) pour avoir, sur commande d’une société anglaise, pressé en Autriche des disque compact (CD) reproduisant intégralement des enregistrements de chansons gravées à l’origine sur disque vinyle, sans l’autorisation de leur auteur, compositeur et interprète. Les CD litigieux avaient ensuite été offerts à la vente sur internet par la société anglaise. Le site était, bien entendu, accessible en tous endroits et l’auteur, domicilié à Toulouse, en tirait argument pour retenir la compétence de cette juridiction afin de statuer sur sa demande en réparation du préjudice patrimonial subi du fait de ces actes non autorisés.

Sur appel de la société autrichienne, la cour d’appel de Toulouse avait infirmé, dans un arrêt rendu le 21 janvier 2009, la décision rendue en 1ère instance, et s’était déclarée incompétente sachant que seule avait été mise en cause la société autrichienne, uniquement responsable du pressage des disques litigieux, et qu’en matière délictuelle, la juridiction compétente est au choix du demandeur, celle du lieu du domicile du défendeur ou le lieu de réalisation du dommage, le fait que les produits aient ensuite été vendus sur internet et puissent donc être achetés à Toulouse étant indifférent.

La Cour de Cassation, saisie de l’affaire, dans un arrêt du 5 avril 2012, rappelle en premier lieu qu’ en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite, dans un autre Etat membre, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire (Article 5, 3° du Règlement 44/2001 du 22 décembre 2000 – Bruxelles I).

Elle rappelle ensuite l’interprétation qui a pu être donnée précédemment par la CJUE des termes « lieu où le fait dommageable s’est produit ». Ainsi :

– en cas de diffamation commis au moyen d’un article de presse diffusé dans plusieurs Etats membre: la victime peut agir contre l’éditeur soit devant la juridiction du lieu d’établissement de l’éditeur pour la réparation intégrale des dommages en résultant, soit dans chaque Etat membre où la publication a été diffusée pour la réparation des dommages subis dans l’Etat de la juridiction saisie (Aff. C-68/93 « Fiona Shevill »)

– En cas d’offre en ligne de produits marqués non encore commercialisés dans l’Espace Economique Européen, la CJUE rejette le caractère de l’accessibilité du site le jugeant insuffisant pour caractériser le lieu du fait dommageable. Il incombe en effet aux juridictions nationales d’ « apprécier au cas par cas s’il existe des indices pertinents pour conclure qu’une offre en vente accessible sur le territoire couvert par la marque est destinée à des consommateurs situés sur celui-ci » (Aff. C-324/09 L’Oréal/eBay).

– en cas d’atteinte aux droits de la personnalité au moyen de contenus mis en ligne sur un site internet : la CJUE indique qu’outre le lieu d’établissement de l’émetteur de ces contenus, la victime peut aussi saisir la juridiction du lieu de l’Etat membre « dans lequel se trouve le centre des intérêts » de l’émetteur des contenus ou bien encore la juridiction du territoire sur lequel ce contenu est accessible, pour le seul dommage causé sur ce territoire, (Aff. C-161/10 « eAdvertising »).

La Cour de Cassation constate que la CJUE ne s’est jamais encore prononcée sur l’offre en ligne d’un support matériel reproduisant illicitement une œuvre. Elle sursoit donc à statuer et pose la question préjudicielle suivante :

En cas d’atteinte aux droits patrimoniaux d’un auteur commise au moyens de contenus mis en ligne sur un site internet,

1° L’auteur peut-il agir devant les juridictions de chaque Etat membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été afin d’obtenir réparation du seul dommage causé sur le territoire de l’Etat membre de la juridiction saisie

Ou faut-il en outre que ces contenus soient ou aient été destinés au public situé sur le territoire de cet Etat membre, ou bien qu’un autre lieu de rattachement soit caractérisé ?

2° La question posée au 1° doit-elle recevoir la même réponse lorsque l’atteinte alléguée aux droits d’auteur résulte non pas de la mise en ligne d’un contenu dématérialisé, mais comme en l’espèce, de l’offre en ligne d’un support matériel reproduisant le contenu ?

Pour y répondre dans sa décision en date du 3 octobre 2013, la Cour de Justice rappelle qu’au regard de la règle générale de la compétence de la juridiction du lieu du domicile du défendeur, la compétence de la juridiction du « lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire », résultant de l’article 5, 3° du Règlement, est une règle de compétence spéciale, d’interprétation stricte, qui vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et le lieu de l’évènement à l’origine du dommage, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l’un ou l’autre de ces deux lieux.

Elle souligne ensuite que les droits patrimoniaux d’un auteur sont, certes, soumis au principe de territorialité, mais sont protégés dans tous les états membres, en application notamment de la Directive 2001/29 du 22 mai 2001. Il en résulte que dès lors que l’Etat membre de la juridiction saisie protège les droits de l’auteur et que le dommage allégué par ce dernier risque de se matérialiser dans son ressort, cette juridiction sera compétente. En l’espèce, ce risque découle de la possibilité de se procurer une reproduction de l’œuvre au moyen d’un site internet accessible dans le ressort de la juridiction saisie.

La CJUE décide donc qu’en cas d’atteinte alléguée à aux droits patrimoniaux d’un auteur protégés dans l’Etat membre de la juridiction saisie, cette dernière est compétente pour connaitre d’une action introduite par l’auteur d’une œuvre, à l’encontre d’une société établie dans un autre Etat membre, qui a reproduit l’œuvre sur un support matériel et l’a vendue à des sociétés établies dans un troisième Etat membre, par l’intermédiaire d’un site internet accessible dans le ressort de cette même juridiction. Sa compétence est, en revanche, limitée au seul dommage causé sur le territoire de l’Etat membre dont elle relève.

Ainsi, en cas d’atteinte au droit patrimonial d’un auteur, le seul fait qu’une offre en ligne de l’œuvre reproduite sans autorisation soit accessible sur le territoire d’un Etat membre de l’Union, est suffisant pour faire reconnaitre la compétence de la juridiction de ce territoire et obtenir réparation du dommage causé sur ce seul territoire.

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