2020/05 > Lego, la brique de la discorde
Le 24 mars 2021 le Tribunal de l’Union européenne (TUE) a annulé la décision du 10 avril 2019 de la Chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) qui avait invalidé un modèle portant sur une des plaques du célèbre jeu de construction Lego.
Le litige portait sur la plaque Lego comportant une rangée centrale de quatre boutons sur la face supérieure que l’on utilise souvent comme support pour les figurines. Cette pièce avait été enregistrée en tant que modèle communautaire en novembre 2010. En 2017, la société allemande Delta Sport Handelskontor GmbH, déposa une demande de nullité de ce modèle faisant valoir le caractère fonctionnel de la plaque au sens de l’article 8(1) du Règlement (CE) n° 6/2002 sur les dessins ou modèles communautaires.
Cette demande fut rejetée une première fois en 2017 avant que la Chambre de recours de l’EUIPO dans sa décision du 10 avril 2019 n’accepte finalement cette demande considérant que « les caractéristiques de l’apparence du produit concerné par le dessin ou modèle contesté étaient exclusivement imposées par sa fonction technique, à savoir permettre l’assemblage et le démontage avec d’autres briques du jeu », et ne prononce en conséquence la nullité du modèle constitué par la pièce Lego. La société danoise fit alors appel de cette décision.
Le 24 mars 2021(1) le TUE a annulé la décision de la Chambre de recours et est revenu ainsi sur l’invalidation du modèle de la plaque Lego. Pour le Tribunal, la Chambre de recours n’a pas correctement appliqué l’exception prévue au paragraphe 3 de ce même article 8, à savoir l’exception concernant les pièces de produits modulaires. Elle n’a pas non plus pris en considération toutes les caractéristiques de l’apparence de la brique.
Sur les caractéristiques de l’apparence et la fonction technique visées à l’article 8 (1) du Règlement
Le tribunal considère que trois points doivent être examinés pour que « l’effet utile » des dispositions de l’article 8.1 soit préservé : déterminer la fonction technique, identifier toutes les caractéristiques du produit et enfin déterminer si elles sont bien imposées par cette fonction technique.
Le Tribunal après avoir rappelé qu’il ne peut y avoir de droits de modèle sur les caractéristiques de l’apparence d’un produit exclusivement imposées par sa fonction technique, énonce qu’il appartient au demandeur en nullité de le démontrer et qu’il revient à l’EUIPO de le constater. Il indique ainsi que la Chambre de recours a omis d’identifier une caractéristique qui est, elle, indépendante de l’apparence du produit, à savoir la surface lisse qui se trouve de part et d’autre de la rangée de quatre boutons de la face supérieure de la plaque. Or si, selon le TUE, l’ensemble des caractéristiques de l’apparence du produit n’a pas été identifié, s’il n’a pas été démontré que « l’ensemble de ces caractéristiques étaient exclusivement imposées par la fonction technique » (…), « le dessin ou le modèle en cause ne saurait être annulé ».
Sur les raccords mécaniques de produits modulaires au sens de l’article 8(3)
C’est la première occasion donnée au Tribunal de l’Union européenne de se prononcer sur l’application de l’article 8(3) du Règlement 6/2002.
On rappellera que cette disposition est une exception à l’article 8(2) qui prévoit l’absence de protection à titre de modèle des caractéristiques de l’apparence d’un produit qui doivent être nécessairement reproduites dans leur forme et leur dimension exactes pour que ce produit puisse être raccordé, placé à l’intérieur ou autour d’un autre produit ou mis en contact avec celui-ci pour que chaque produit puisse remplir sa fonction.
Le Tribunal s’interroge en premier lieu sur le point de savoir si cette exception peut être invoquée pour la première fois devant la Chambre de recours. À cet égard, l’EUIPO faisait valoir que l’article 8(3) devait nécessairement être invoqué par le titulaire du dessin ou modèle contesté, dans la mesure où il constitue « un moyen de défense », et qu’il ne pouvait être invoqué, pour la première fois, devant la Chambre de recours.
Le Tribunal constate toutefois que l’article 8(3) du Règlement n° 6/2002 n’est pas expressément visé par les dispositions du Règlement délégué 2018/625 et notamment par son article 27, paragraphe 3, cité par l’EUIPO comme étant le règlement de procédure des Chambres de recours. Cette dernière disposition vise trois types de revendications ou demandes particulières qui doivent être présentées en première instance. Or, l’article 8, paragraphe 3, du Règlement n° 6/2002 n’est pas expressément visé par cet article 27. Le bénéfice de l’exception ainsi prévue à l’article 8(3) peut donc être invoqué pour la première fois, devant la Chambre de recours, pour contester une décision d’annulation ou comme moyen de défense.
Le Tribunal considère ensuite que pour déterminer si l’article 8(3) est susceptible de s’appliquer, il faut d’abord examiner si le modèle ne relève pas des autres dispositions de cet article 8 qui pourraient faire obstacle à son application. Ainsi le Tribunal relève que si le titulaire du modèle se prévaut de cet article 8(3), il admet en même temps que les caractéristiques de ce modèle relèvent de l’article 8(2) puisque l’article 8(3) est précisément une exception à l’article 8(2).
Le Tribunal note aussi que les caractéristiques d’un modèle peuvent relever tant de l’article 8(1), à savoir des caractéristiques fonctionnelles, que de l’article 8(2), à savoir des caractéristiques qui doivent être nécessairement reproduites pour le raccordement, l’insertion ou le contact du produit avec un autre produit.
Le Tribunal ajoute enfin que l’article 8(3) doit pouvoir être invoqué pour toutes les caractéristiques visées à l’article 8(2) y compris que ces caractéristiques sont aussi purement fonctionnelles et relèvent donc de l’article 8(1). Le Tribunal ajoute que l’article 8(3) doit également pouvoir être invoqué par le titulaire du modèle pour des caractéristiques pour lesquelles l’article 8(2) n’a pas été invoqué par le demandeur en nullité du modèle.
En effet, si tel n’était pas le cas, le titulaire du modèle attaqué se trouverait privé de la possibilité d’invoquer cet article 8(3) en fonction de l’argumentation développée par le demandeur en nullité.
Selon le Tribunal de l’Union européenne, la Chambre de recours qui a refusé en l’espèce purement et simplement d’examiner si cette exception était applicable, a commis une erreur de droit.
Reste maintenant à savoir comment cette dernière interprètera et appliquera éventuellement cette exception si particulière.
(1) Affaire n° T-515/19 du 24 mars 2021 Lego c/ EUIPO et Delta Sport Handelskontor GmbH.