2018/11 > De l’importance de l’usage et du maintien d’une marque nationale ayant fait l’objet d’une revendication d’ancienneté dans une marque européenne
Tout titulaire d’une marque enregistrée dans un État de l’Union européenne peut revendiquer l’ancienneté de sa marque nationale dans sa marque européenne pour des produits ou services identiques. Cette revendication d’ancienneté a pour effet de permettre à ce titulaire, s’il renonce à maintenir sa marque localement, de continuer à bénéficier des mêmes droits que ceux qu’il aurait eus si sa marque nationale avait été maintenue.
Toutefois, cette ancienneté s’éteint si la marque nationale est déclarée nulle ou frappée de déchéance. Dans ce dernier cas, l’ancienneté s’éteint sous réserve que la déchéance prenne effet avant la date de dépôt (ou de priorité) de la marque européenne (article 34 du Règlement (UE) 207/2009 et 39 du Règlement (UE) 2017/1001).
Ces dispositions doivent se lire en combinaison avec l’article 14 de la 1ère Directive Marque 89/104/CEE du 21 décembre 1988 modifiée en 2008, repris dans l’article 6 de la nouvelle directive (UE) 2015/2046, qui prévoit que lorsque l’ancienneté d’une marque nationale est revendiquée, cette marque n’étant pas ensuite maintenue, la nullité ou la déchéance de la marque nationale peut être constatée a posteriori, à condition que cette nullité ou déchéance ait pu être déclarée au moment où la marque a été abandonnée.
Dans un arrêt du 26 septembre 2018, la Cour de Cassation rend un arrêt de rejet dans un litige dont tout l’enjeu portait sur la date à laquelle la déchéance du droit national fondant la revendication d’ancienneté devait être examinée.
Dans les faits, la SCEV Champagne Gallo, créée le 8 avril 2002, faisait usage du signe Gallo à titre de dénomination sociale pour commercialiser du champagne. Assignée en contrefaçon par le titulaire d’une marque européenne GALLO du 1er avril 1996 revendiquant l’ancienneté d’une marque française du 30 août 1968 pour les classes 32 et 33, elle obtint sur demande reconventionnelle la déchéance de cette marque française et l’annulation de la marque européenne qui était postérieure aux droits qu’elle détenait sur sa dénomination sociale.
En appel, dans un arrêt rendu le 6 octobre 2015, les juges de la Cour d’Appel de Paris constatent que la marque déposée sous l’empire de la loi de 1964 n’a jamais été exploitée. Ils en prononcent la déchéance avec date d’effet au 30 août 1973, soit 5 ans après la publication de son enregistrement d’origine. Ils font ainsi application de l’article L. 714-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, résultant de la loi du 4 janvier 1991, en application duquel la déchéance prend effet à la date d’expiration du délai de cinq ans de non usage. La Cour de Cassation rejette le pourvoi engagé contre cet arrêt rendu par la Cour d’Appel de Paris.
Elle rejette ainsi l’argumentation du demandeur au Pourvoi selon laquelle, pour apprécier le bien-fondé d’une demande en déchéance d’une marque nationale dont l’ancienneté est revendiquée, il convenait de traiter cette marque comme si elle était toujours en vigueur et prendre donc en considération l’usage commencé ou repris dans les 5 années précédant la demande en déchéance. Ainsi, la Cour d’Appel aurait dû prendre en compte la reprise de l’usage effectué au travers de la marque européenne, l’usage d’une marque européenne valant également usage d’une marque française pour un signe identique, sachant, de surcroît, que sous l’empire de la loi de 1964, la déchéance ne pouvait prendre effet qu’à la date de la demande en déchéance.
La Cour Suprême se réfère quant à elle à l’arrêt du 19 avril 2018 (C-148/17) de la Cour de Justice de l’Union Européenne selon lequel les conditions de la nullité ou de la déchéance d’une marque dont l’ancienneté est revendiquée n’ont pas à être réunies cumulativement à la date à laquelle la marque nationale n’a pas été maintenue, ainsi qu’à la date à laquelle intervient la décision juridictionnelle opérant cette constatation. Elle relève de plus que le demandeur au Pourvoi n’avait pas été en mesure de rapporter la preuve d’un usage de sa marque nationale.
Ainsi, l’usage de la marque européenne ne sauve pas de la déchéance la marque nationale dont l’ancienneté a été revendiquée dans la marque européenne et qui n’était pas utilisée au moment où elle a été abandonnée en tant que marque nationale.
Cette décision ne peut qu’inciter les titulaires de droits nationaux à ne pas les abandonner et à renoncer à l’idée que la revendication d’ancienneté dans la marque européenne permettrait l’abandon des marques nationales correspondantes, des mesures d’économie ou une simplification de leurs portefeuilles…
Brève : Dans un arrêt C-310/17 du 13 novembre 2018, la Cour de Justice de l’Union Européenne refuse la qualification « d’œuvre » à une saveur alimentaire. Elle écarte une protection par le droit d’auteur et s’oppose à ce qu’une législation nationale puisse prévoir une telle protection (Voir notre précédent flash de juillet 2017).