2017/09 > Les procédures UDRP : Un outil efficace contre les contrefacteurs
On le sait, des procédures extra-judiciaires dites procédures UDRP, ont été mises en place pour permettre au propriétaire d’un droit de marque d’intervenir à l’encontre de noms de domaine pirates, pour obtenir leur retrait ou leur transfert. Ces procédures ont été mises en place au sein du Centre d’Arbitrage et de Médiation de l’OMPI pour les gTLD. Elles existent également au niveau européen pour le .eu ainsi qu’au niveau national pour les ccTLD (procédure Syreli en France).
Elles sont couramment utilisées à l’encontre de noms de domaine constitués d’une marque renommée qui redirigent souvent vers des sites internet sur lesquels sont vendus des contrefaçons de ladite marque. Elles sont mises en œuvre par le biais d’une requête en ligne qui fait ensuite l’objet d’une décision rendue par une commission administrative composée d’un ou plusieurs « panelistes ».
Dans une décision du 11 septembre 2017, la commission administrative de l’OMPI a décidé qu’une demande de transfert pouvait être valablement dirigée à l’encontre de plusieurs noms de domaines, bien que les noms et adresses de leurs propriétaires soient différents et a ainsi fait droit à la requête de la société Maison Pierre Hardy.
Dans cette affaire, six noms de domaine contenant le nom du célèbre designer français Pierre Hardy tels que <cheappierrehardy.online>, <pierrehardyoutlet.online>, <pierre-hardy.store> étaient visés.
Ces six noms de domaine correspondaient à des sites internet actifs offrant à la vente des produits contrefaisants, portant la marque Pierre Hardy. Tous ces noms de domaines avaient été enregistrés par différents titulaires chinois, par l’intermédiaire du registrar Alibaba Cloud Computing Ltd.
Deux questions importantes devaient ici être tranchées par la commission administrative de l’OMPI : la langue de la procédure et la recevabilité d’une requête unique dirigée à l’encontre de ces différents noms de domaine.
S’agissant de la langue de procédure, selon le paragraphe 11(a) des règles UDRP, « sauf convention contraire entre les parties ou stipulation contraire du contrat d’enregistrement, la langue de la procédure est la langue du contrat d’enregistrement; toutefois, la commission peut décider qu’il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative ».
En l’espèce, ce contrat d’enregistrement était en chinois, et toutes les informations relatives aux titulaires des noms de domaine renvoyaient à la Chine. Cependant, la commission fait droit à l’argumentation de Maison Pierre Hardy, faisant état des mots anglais présents dans les noms de domaine contestés, ainsi que du contenu des sites internet reliés audits noms de domaine, qui était également en anglais. Celle-ci en déduit justement que les défendeurs avaient un niveau correct de compréhension de la langue anglaise, et a décidé que la procédure pouvait se tenir dans cette langue.
Concernant le regroupement de plusieurs défendeurs et noms de domaine dans la même requête, la commission rappelle d’abord que le paragraphe 3(c) des règles UDRP prohibe tout dépôt d’une requête dirigée contre plusieurs défendeurs. Cependant, elle se réfère ensuite à la section 4.11.2 de la troisième édition de la Synthèse des tendances générales des décisions rendue par les commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP : « Quand une requête est dirigée contre plusieurs défendeurs, les commissions doivent vérifier si les noms de domaine, et les sites internet qui y correspondent, font l’objet d’un contrôle commun, et si leur regroupement en une même requête serait juste et équitable pour toutes les parties », sachant que l’existence de ce contrôle commun est déterminée sur la base d’un faisceau d’indices.
Ici, la principale difficulté résidait dans le fait que les noms des propriétaires des noms de domaine contestés, ainsi que leurs adresses, étaient différents. La question du contrôle commun était donc délicate.
Maison Pierre Hardy a cependant fait valoir que l’adresse des propriétaires des noms de domaine litigieux était initialement la même. Par une étrange coïncidence, l’adresse reliée aux noms de domaine <pierre-hardy.store> et <pierrehardye.store> avait été modifiée peu après que le demandeur les ait joints à la procédure UDRP. De plus, les contacts administratifs, de facturation et techniques, reliés aux noms de domaine en question, étaient identiques, et le contenu des sites internet visant la marque notoire Pierre Hardy était substantiellement similaire.
Ainsi, la commission en conclue que le défendeur avait démontré la vraisemblance de l’existence d’un contrôle et d’une propriété commune attachés à ces six noms de domaine et s’est prononcé en faveur de la recevabilité de la requête commune. Une décision similaire avait été précédemment rendue le 10 mai 2010 par la commission administrative de l’OMPI (Speedo Holdings BV C. Programmer, OHMI, D2010-0281). Le regroupement avait été considéré comme justifié en l’espèce par le contrôle commun exercé sur les différents noms de domaine : les contacts administratifs, les adresses email et postales étaient les mêmes.
Dans la présente affaire, le concept de « contrôle commun » est largement interprété afin d’empêcher le défendeur de contourner la requête du demandeur. La décision de la commission apparaît ainsi pleinement justifiée par la nécessité de parer le comportement malveillant de sociétés pensant pouvoir commercialiser librement des produits contrefaisants par le biais de nombreux noms de domaines et sites internet, enregistrés sous des pseudonymes différents et des adresses fictives. Cette décision prouve que les règles UDRP peuvent s’adapter afin de répondre aux besoins des propriétaires de marques et neutraliser l’ingéniosité des contrefacteurs.