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2015/12 > Internet et la compétence des tribunaux français : une nouvelle question préjudicielle

A l’occasion du litige opposant la société française Concurrence, distributeur de produits d’électronique grand public, et un de ses fournisseurs, la société Samsung Electronic France, à propos du contrat de distribution sélective les liant, s’est à nouveau posée la question de l’application de l’article 5.3 du Règlement 44/2001 du 22 décembre 2000, dit Bruxelles I, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution de décisions en matière civile et commerciale. Cet article relatif à la détermination du tribunal compétent, dispose en matière délictuelle ou quasi délictuelle, qu’« une personne, domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ».

En l’espèce, Samsung avait  mis fin à ses relations contractuelles avec son distributeur agréé, la société Concurrence, en raison de la vente en ligne par cette dernière de produits haut de gamme Samsung sur le site « concurrence.fr » alors que son contrat le lui interdisait. Estimant que cette disposition contractuelle était appliquée de manière discriminatoire, la société Concurrence avait assigné Samsung, en référé devant le Tribunal de Commerce de Paris,  pour obtenir la livraison des produits sans être tenue de la respecter. Après rejet de ses demandes en première instance et en appel, elle avait assigné en référé devant les juridictions françaises Samsung France ainsi que la société Amazon services Europe, établie au Luxembourg, elle-même distributeur agréé de Samsung, pour obtenir le retrait de toute offre de produits Samsung sur les différents sites étrangers de cette dernière.

Cependant, le Tribunal de Commerce puis la Cour d’Appel retiennent  l’incompétence des juridictions françaises au motif que « le juge français n’est compétent pour connaître des litiges liés à la vente sur Internet que si le site sur lequel la distribution est assurée vise le public français ».

La société Concurrence forme alors un pourvoi à l’encontre de l’arrêt d’appel au motif qu’en matière délictuelle, les juridictions de l’état sur le territoire duquel le site incriminé est accessible, sont compétentes et qu’à supposer que le critère de l’accessibilité du site ne soit pas suffisant, la Cour d’Appel n’avait pas recherché, contrairement à ce qui lui était demandé, si le système mis en place par Amazon ne permettait pas d’expédier des produits en France, ce qui justifiait la compétence du juge français.

La Chambre Commerciale de la Cour de Cassation rappelle l’interprétation précédemment donnée de l’article 5.3 du Règlement Bruxelles I, par la Cour de Justice dans l’arrêt Wintersteiger du 19 avril 2012 (C-523/10) en matière de marque et de référencement par mot-clé, ainsi que dans l’arrêt Pinckney du 3 octobre 2013 (C-170/12)  relatif à l’atteinte aux droits patrimoniaux d’un auteur par une offre en ligne de l’œuvre reproduite sans autorisation.

Dans la première de ces décisions, la Cour de Justice avait décidé à propos de l’atteinte à une marque enregistrée dans un État membre du fait de l’utilisation, par un annonceur, d’un mot clé identique à ladite marque sur le site Internet d’un moteur de recherche opérant sous un domaine national de premier niveau d’un autre État membre, que le litige pouvait être porté soit devant les juridictions de l’État membre dans lequel la marque est enregistrée, soit devant celles de l’État membre du lieu d’établissement de l’annonceur.

On le sait, la jurisprudence française exige de son côté qu’en cas de violation d’un droit de marque sur ou par un site internet, ce site vise d’une manière ou d’une autre le public français et ne soit pas uniquement destiné à un public étranger.

Dans la seconde des décisions citées par la Cour de Cassation, la Cour de Justice avait considéré qu’en cas d’atteinte au droit d’auteur commise par Internet et susceptible, de ce fait, de se matérialiser dans de nombreux lieux, le lieu de la matérialisation du dommage pouvait varier en fonction de la nature du droit prétendument violé et que n’était pas requis que l’activité dommageable ait été dirigée vers l’État membre de la juridiction saisie. La Cour avait ajouté qu’était compétente  pour  connaître  d’une violation  alléguée  du droit patrimonial d’un auteur, la juridiction de l’État membre qui protège les droits patrimoniaux dont le demandeur se prévaut et dans le ressort de laquelle le dommage allégué risque de se matérialiser.

La Cour de Cassation constate que l’affaire dont elle est saisie ne concerne aucune de ces hypothèses puisqu’elle vise à mettre fin au préjudice allégué par un ancien distributeur agréé établi en France et exploitant un site de vente en ligne, du fait de ventes en ligne par d’autres accessibles en France et hors de France, en principe interdites par le contrat de distribution sélective du fournisseur.

La Cour de Cassation sursoit alors à statuer et pose à la Cour de Justice de l’Union européenne par arrêt du 10 novembre 2015 la question suivante :

« L’article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution de décisions en matière civile et commerciale, doit-il être interprété en ce sens qu’en cas de violation alléguée d’interdictions de revente hors d’un réseau de distribution sélective et via une place de marché, au moyen d’offres de vente mises en ligne sur plusieurs sites exploités dans différents Etats membres, le distributeur agréé s’estimant lésé a la faculté d’introduire une action en cessation du trouble illicite qui en résulte devant la juridiction sur le territoire duquel les contenus mis en ligne sont accessibles ou l’ont été, ou faut-il qu’un autre lien de rattachement soit caractérisé ? »

La décision qui sera rendue par la Cour de Justice ne permettra sans doute pas aux juridictions françaises d’uniformiser leurs appréciations distinctes en matière de marque et de droit d’auteur, mais permettra peut-être d’en clarifier certaines applications.

Brève : le « paquet marque » a été adopté de manière définitive par le Parlement Européen, le mardi 15 décembre en session plénière. Le nouveau Règlement entrera en vigueur 90 jours après sa publication au  Journal Officiel de l’Union Européenne, attendue au cours du mois de janvier 2016.  La  nouvelle Directive entrera, elle, en vigueur le 20e jour suivant sa publication et devra être transposée dans un délai de trois ans (à l’exception des dispositions relatives à la procédure administrative de déchéance et de nullité qui bénéficient d’un délai de transposition de sept ans).

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