2015/09 > Des éclaircissements sur la notion de marque renommée et sa portée
D’une importance capitale, les marques de renommée, création de la Directive et du Règlement sur les marques, bénéficient toutefois de critères de qualification encore ambigus. Par un arrêt du 3 septembre 2015, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) est venue apporter des précisions bienvenues en la matière. (CJUE, 3 septembre 2015, Iron & Smith c. Unilever, Aff. C-125/14).
En l’espèce, Unilever, titulaire d’une marque communautaire Impulse, avait fait opposition à l’encontre d’une demande d’enregistrement d’une marque hongroise « be impulsive », qu’elle considérait comme similaire à la sienne, mais qui désignait des produits différents de ceux visés à sa marque. Pour ce faire, Unilever se prévalait des dispositions légales hongroises qui accordent une protection plus étendue aux marques renommées, allant au-delà du principe de spécialité, ainsi que le prévoit la Directive à son article 4. §3.
A la suite de cette opposition, l’Office hongrois refusa l’enregistrement de la marque hongroise. Le titulaire de cette demande d’enregistrement saisit alors les juges hongrois en appel de cette décision.
Ces derniers mirent en évidence une question centrale dans ce litige : Unilever n’avait pas démontré la renommée de sa marque communautaire en Hongrie, mais uniquement dans certains pays de l’Union Européenne.
La juridiction hongroise saisit en conséquence la CJUE d’une demande de question préjudicielle afin d’obtenir des précisions sur la notion de marque renommée et les conditions de son opposabilité.
La CJUE rappelle en premier lieu qu’une marque communautaire jouit d’une renommée dans l’Union lorsqu’elle est connue sur une partie substantielle du territoire l’Union Européenne d’une partie significative du public concerné. La Cour cependant apporte une précision importante : la partie substantielle du territoire de l’Union peut coïncider avec le territoire d’un seul Etat membre.
La CJUE procède ainsi à une analyse plus souple des conditions de qualification d’une marque communautaire renommée. Il importe donc peu en l’espèce que la marque en cause ne soit pas renommée en Hongrie, elle pouvait néanmoins être valablement qualifiée de marque communautaire de renommée. La Cour précise en effet qu’il ne saurait être exigé du titulaire de cette marque qu’il apporte la preuve de cette renommée sur le territoire de l’Etat membre où la demande de la marque opposée a été déposée.
Néanmoins, dans une telle hypothèse, le titulaire de la marque communautaire peut bénéficier de la protection des marques renommées, uniquement s’il s’avère « qu’une partie commercialement non négligeable dudit public connaît cette marque, établit un lien entre celle-ci et la marque nationale postérieure, et qu’il existe, compte tenu de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, soit une atteinte effective et actuelle à la marque communautaire, soit, à défaut, un risque sérieux qu’une telle atteinte se produise dans le futur. »
Ainsi, pour apprécier les conditions d’opposabilité de cette marque renommée, la CJUE adopte une approche pratique, tenant compte de la réalité présente dans l’Etat membre concerné où le titulaire de la marque renommée recherche sa protection.
La CJUE précise également que l’exigence de l’usage sérieux de la marque communautaire dans l’Union poursuit un objectif différent des dispositions relatives à la protection élargie conférée aux marques renommées. Dès lors, les critères utilisés pour établir l’existence d’un usage sérieux ne sont pas pertinents pour établir la renommée d’une marque.
La CJUE fait dès lors une distinction nette entre l’exigence d’un usage sérieux de la marque et l’établissement de sa renommée. On rappellera qu’à propos de l’usage sérieux d’une marque européenne sur le territoire de l’Union, la Cour a considéré dans sa décision du 19 décembre 2012, Leno Merken, (Aff. C. 149/11), que s’il est certes raisonnable de s’attendre à ce qu’une marque communautaire soit utilisée sur un territoire plus important qu’une marque nationale, il n’est pas nécessaire que cet usage soit géographiquement étendu pour être qualifié de sérieux, car une telle qualification dépend des caractéristiques du produit ou du service concerné sur le marché correspondant. Il convient en revanche que la marque soit utilisée conformément à sa fonction essentielle et en vue de maintenir ou de créer des parts de marché dans la Communauté pour les produits ou les services désignés par ladite marque.
Enfin, on rappellera également que pour qu’une marque communautaire soit considérée comme distinctive, elle doit bénéficier de ce caractère dans tous les pays de l’Union si bien que, si tel n’est pas le cas dans un seul pays de l’Union, la marque sera refusée à l’enregistrement. De même s’agissant d’apprécier le caractère distinctif acquis par l’usage d’une marque européenne, il faut prendre en compte l’ensemble du territoire de l’Union, tel qu’il existe au moment de la présentation de la demande d’enregistrement de la marque communautaire, à l’exception de la partie de la Communauté dans laquelle la marque demandée aurait déjà eu ab initio un tel caractère (TPIUE, 29 septembre 2010, CNH Global, Aff. T. 378/07).