2015/01 > Action en contrefaçon et brevet essentiel à une norme : les règles bientôt posées
A la suite de différentes questions préjudicielles posées par le Landgericht Düsseldorf (Allemagne) dans une affaire opposant le titulaire d’un brevet dit essentiel et un tiers désireux de mettre en œuvre la technologie correspondante, la Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-après, la « CJUE ») va bientôt devoir se prononcer sur les modalités d’appréciation de l’abus de position dominante éventuellement réalisé par le titulaire d’un brevet déclaré comme essentiel à une norme (ci-après, le « BEN ») lorsqu’il agit en contrefaçon à l’encontre d’un tel tiers.
On le sait, dans le cadre de l’établissement de normes techniques, la question de la mise à disposition des brevets mis en œuvre par ces normes est une question essentielle et, généralement, les organismes de normalisation imposent aux titulaires de BEN de prendre l’engagement de concéder des licences sur lesdits brevets essentiels à des conditions dites « FRAND » (« Fair Reasonnable And Not Discriminatory »), c’est-à-dire à des conditions équitables, raisonnables et non-discriminatoires.
Dans un communiqué de presse relatif aux médiatiques contentieux Apple / Samsung, la Commission européenne avait eu l’occasion de préciser que l’exercice d’une action en contrefaçon portant sur un BEN par une entité ayant pris l’engagement de concéder des licences à des conditions FRAND à l’encontre d’une entité étant disposée à négocier une telle licence droits était susceptible de constituer un abus de position dominante (Communiqué de presse IP/12/1448 de la Commission du 21 décembre 2013 et le mémorandum 12/1021 de la Commission).
La CJUE va maintenant être amenée à se prononcer sur les modalités d’appréciation de l’abus de position dominante éventuel du titulaire du BEN dans cette hypothèse (Aff. C-170/13, Huawei Technologies Co. Ltd contre ZTE Corp. et ZTE Deutschland GmbH).
Dans l’affaire qui lui est soumise, des négociations avaient été engagées entre le titulaire d’un brevet déclaré essentiel à la norme « Long Term Evolution » (LTE), établie par l’Institut européen de normalisation des télécommunications (ETSI), et un tiers désireux de mettre en œuvre cette technologie pour la détermination des conditions d’une licence sur ce BEN. Les négociations entre les parties ayant échouées, le titulaire du BEN a engagé une action en contrefaçon à l’encontre du tiers intéressé par la licence et ce dernier a fait valoir qu’une telle action était constitutive d’un abus de position dominante, compte tenu notamment de l’engagement du titulaire du BEN de consentir une licence à des conditions FRAND.
C’est dans ce cadre que le Landgericht Düsseldorf (Allemagne) a posé diverses questions préjudicielles à la CJUE sur les modalités d’appréciation de l’abus de position dominante éventuellement réalisé par le titulaire d’un BEN lorsqu’il agit en contrefaçon à l’encontre d’un tiers désireux de mettre en œuvre la technologie correspondante.
Dans ses conclusions du 20 novembre 2014, l’avocat général M. Melchior Wathelet de la CJUE a pris position et précise les conditions dans lesquelles il estime que le titulaire d’un BEN peut valablement opposer ses droits à un tiers désireux de mettre en œuvre la technologie correspondant à une norme standardisée (Aff. C-170/13, Conclusions de l’avocat général M. Melchior WATHELET, 20 novembre 2014, affaire Huawei Technologies Co. Ltd contre ZTE Corp. et ZTE Deutschland GmbH).
L’avocat général considère que le titulaire du BEN doit entamer certaines démarches concrètes avant de pouvoir valablement introduire une action en contrefaçon à l’encontre d’un tiers s’étant montré objectivement prêt, désireux et apte à conclure une licence, sous peine d’abuser de la position dominante qu’il détient de par sa titularité du BEN, en particulier :
- il doit, sauf s’il est établi que le contrefacteur présumé en est pleinement informé, avertir ce dernier, par écrit et avec motivation, de l’infraction en cause en précisant le BEN pertinent et de quelle façon il est enfreint par le contrefacteur ;
- en tout état de cause, il doit transmettre au contrefacteur présumé une offre écrite de licence à des conditions FRAND qui devra contenir toutes les conditions figurant habituellement dans une licence dans la branche d’activité concernée, en particulier le montant précis de la redevance et la façon dont il est calculé.
L’avocat général estime que le tiers qui souhaite mettre en œuvre la technologie normalisée a, de son côté, certaines obligations. Notamment, ledit tiers doit réagir à l’offre du titulaire du BEN de manière diligente et sérieuse et, s’il ne l’accepte pas, il doit à bref délai soumettre au titulaire d’un BEN une contre-offre écrite raisonnable relative aux clauses avec lesquelles il est en désaccord.
Si le comportement du contrefacteur est purement tactique et/ou dilatoire et/ou non sérieux, le titulaire du BEN pourra alors, selon l’avocat général, valablement engager une action en contrefaçon à son encontre sans que cette action constitue un abus de sa position dominante. A ce titre, l’avocat général précise que le comportement du contrefacteur présumé ne saurait être considéré comme dilatoire ou non sérieux (i) s’il demande la fixation de conditions FRAND soit par une juridiction, soit par un tribunal arbitral ou (ii) s’il se réserve le droit, postérieurement à la conclusion d’une telle licence, de contester devant une juridiction ou un tribunal arbitral la validité de ce brevet, son usage de l’enseignement du brevet et le caractère essentiel du brevet à la norme en cause.
La décision de la CJUE permettra de voir si les conclusions de l’avocat général sont suivies.
La CJUE devrait en tout cas préciser les conditions dans lesquelles le titulaire d’un BEN peut valablement engager une action en contrefaçon à l’encontre d’un tiers désireux de mettre en œuvre la technologie correspondant à une norme standardisée et s’étant montré objectivement prêt, désireux et apte à conclure une licence, et fixer les conditions dans lesquelles une licence FRAND se négocient entre les parties.