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2014/10 > Vers la fin des marques tridimensionnelles ?

Dans un arrêt rendu le 18 septembre 2014, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), donne à son tour, sur question préjudicielle, son interprétation de l’article 3.1 e) (iii) de la directive 89/104 du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques lequel interdit à l’enregistrement « les signes constitués exclusivement par la forme imposée qui donne une valeur substantielle au produit ». Cette décision intervient en effet après la décision du Tribunal de Première Instance de l’Union Européenne (TPI), rendue dans l’affaire Bang & Olufsen en date du 6 octobre 2011 (T-508/08) à propos du caractère enregistrable à titre de marque communautaire d’une forme de haut-parleur.

Dans l’affaire Bang & Olufsen, le TPI avait ainsi estimé que la valeur esthétique de la forme d’un haut-parleur était susceptible de déterminer le choix du consommateur et lui donnait ainsi sa valeur substantielle, faisant ainsi obstacle à son enregistrement à titre de marque.

Dans la présente affaire C-205/13, la société norvégienne Stokke et la société allemande Hauck s’opposaient au sujet de la forme de la chaise d’enfant « Tripp Trapp » commercialisée par Stokke depuis 1972, sur laquelle la société Stokke revendiquait des droits d’auteur et de marque.

Aux Pays-Bas, Stokke avait en effet obtenu l’enregistrement d’une marque tridimensionnelle Benelux pour des « chaises, et notamment des chaises pour enfants » pour la forme  et avait assigné Hauck pour contrefaçon de ses droits d’auteur et de marque.

Stokke obtint gain de cause sur le fondement du droit d’auteur devant le tribunal de La Haye. En revanche, le tribunal fit droit à la demande reconventionnelle de Hauck en annulation de sa marque.

La Cour d’appel de La Haye, saisie de l’affaire, confirma le bien-fondé de l’action de Stokke au titre du droit d’auteur, mais confirma également l’annulation de sa marque aux motifs que l’aspect attrayant de la chaise « Tripp Trapp » donnait une valeur substantielle au produit et que sa forme était déterminée par la nature même du produit.

Hauck forma alors un pourvoi devant la Cour suprême des Pays-Bas qui le rejeta, mais estima que le pourvoi incident formé par Stokke au sujet de l’annulation de sa marque, soulevait une question d’interprétation de l’article 3.1 e) de la Directive « Marques » par la CJUE.

Dans son arrêt, la CJUE rappelle en premier lieu que l’exclusion de l’enregistrement de certains signes par l’article 3.1 e) de la Directive a pour objet d’éviter que des formes de produit susceptibles d’être protégées par d’autres droits de propriété intellectuelle puissent être protégés sans limitation de durée au travers d’un dépôt de marque au détriment de la concurrence et des consommateurs. D’autre part, elle précise que les motifs de refus prévus par cet article fonctionnent de manière autonome et que l’existence d’un seul de ces motifs est suffisante pour refuser une marque à l’enregistrement.

A propos de la forme imposée par la nature même du produit, la CJUE considère que ce motif de refus ou d’annulation « peut s’appliquer à un signe exclusivement constitué par la forme d’un produit présentant une ou plusieurs caractéristiques d’utilisation essentielles et inhérentes à la fonction ou aux fonctions génériques de ce produit, que le consommateur peut éventuellement rechercher dans les produits des concurrents ». La marque tridimensionnelle doit ainsi être refusée ou annulée lorsque les caractéristiques essentielles de la forme sont inhérentes à la fonction du produit. Toutefois, ce motif de refus ne s’applique pas si un ou d’autres éléments ornementaux ou de fantaisie, non inhérents à la fonction du produit, jouent un rôle important ou essentiel dans la forme du produit. Cependant, le motif de refus lié à la valeur substantielle du produit est alors susceptible de s’appliquer.

A propos de la forme qui donne la valeur substantielle au produit, la CJUE considère ainsi que si la forme esthétique d’un produit peut lui conférer une valeur substantielle, d’autres caractéristiques de ce produit peuvent également lui conférer une telle valeur et conduire au refus à l’enregistrement de la marque ou à son annulation. Ainsi, peuvent être pris en compte la nature des produits, leur valeur artistique, l’existence ou l’absence de produits similaires ou encore la stratégie commerciale mise en œuvre, lui donnant une plus-value au regard des produits concurrents. La Cour précise d’autre part que « la perception de la forme du produit par le public ciblé ne constitue qu’un seul des éléments d’appréciation aux fins de déterminer l’application du motif de refus » au produit en cause.

Il résulte de la position ainsi prise par la CJUE, ajouté à la décision précédemment rendue par le TPI, que l’enregistrement et la protection des marques tridimensionnelles s’avèrent malheureusement aujourd’hui quasiment impossibles à obtenir et à mettre en œuvre. Preuve en est les objections souvent reçues tant de l’OHMI que de l’INPI à l’encontre des dépôts de marque tridimensionnelle. La forme de ces dépôts et leur libellé doivent dès lors être étudiés de près avant d’être entrepris pour anticiper ces objections et contourner ainsi la position particulièrement stricte adoptée par la jurisprudence en la matière.

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