2014/03 > Lutte contre la contrefaçon : la loi adoptée par le Sénat
Alors que le nouveau règlement (CE) n° 608/2013, concernant le contrôle, par les autorités douanières, des droits de propriété intellectuelle, est en application depuis le 1er janvier 2014, le Sénat vient d’adopter définitivement et en 2ème lecture, le 26 février dernier, la proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon. Ce texte avait déjà été voté par l’Assemblée nationale, le 4 février dernier, en 1ère lecture avec certaines modifications.
Déposé au Sénat le 30 septembre 2013 par M. Richard Yung et plusieurs autres sénateurs, et s’inspirant en grande partie de la proposition de loi de M. Laurent Béteille présentée en 2011 – année record des saisies de produits contrefaisants par les douanes françaises – ce texte vise à renforcer l’arsenal juridique français déjà existant en matière de lutte contre la contrefaçon.
Ainsi, s’agissant des actions en contrefaçon, la nouvelle loi prévoit en premier lieu l’amélioration des dédommagements civils accordés aux victimes de contrefaçon par une prise en compte plus large dans le montant des dommages intérêts alloués, des profits réalisés par le contrefacteur (article 2), incluant ainsi les économies que celui-ci a pu retirer de l’atteinte aux droits. Il est à noter qu’une somme forfaitaire peut ou bien, être allouée. Elle est dans ce cas supérieure au montant des redevances qui auraient été normalement dues si une autorisation avait été demandée au titulaire des droits.
La mise en œuvre du droit à l’information (article 3) est clarifiée et peut ainsi être obtenue avant une condamnation au fond, et la procédure de saisie-contrefaçon applicable en matière de droit d’auteur est alignée sur celle applicable aux droits de propriété industrielle (article 4). Par ailleurs, les différents délais de prescription du code de la propriété intellectuelle sont également alignés avec le délai de droit commun de cinq ans (article 16).
S’agissant ensuite des moyens donnés aux douanes pour lutter contre la contrefaçon, un long chapitre (chapitre V, articles 6 à 13) est consacré à leur renforcement.
Ainsi, l’article 6 prévoit que les douanes sont habilitées à retenir des marchandises sous les régimes douaniers de l’exportation, l’importation, ou du transbordement ainsi qu’à l’encontre de marchandises détenues à ces mêmes fins.
Les douanes peuvent désormais agir valablement sur la base de tous titres de propriété intellectuelle, y compris les indications géographiques. Ainsi, dans un souci d’harmonisation avec le droit européen, l’article 7 prévoit que la procédure de retenue douanière s’étend au droit des brevets, des obtentions végétales et des indications géographiques avec une rédaction identique pour chaque droit en cause.
Il est cependant à chaque fois précisé que la procédure ne s’applique ni aux marchandises d’origine communautaire en transit interne, ni aux marchandises communautaires destinées à l’exportation vers un Etat non membre de l’Union européenne. Aucune disposition n’est prévue concernant le cas particulier de marchandises en provenance de pays tiers à l’Union européenne circulant en transit sur le territoire de l’Union européenne vers un pays tiers à l’Union européenne (transit tiers tiers).
Par ailleurs, l’article 7 de la loi officialise la communication, par les douanes, de l’identité des expéditeurs, importateurs, destinataires, déclarants des marchandises, ainsi que des images de celles-ci tout comme les informations sur leur quantité, leur origine, provenance, destination, aux titulaires des droits pour l’engagement d’actions en justice. Le délai de 10 jours ouvrables prévu pour engager ces actions pourra être prorogé par l’administration des douanes, pour 10 jours ouvrables de plus sur requête dûment motivée du demandeur.
La loi officialise également dans ce même article, la procédure de destruction habituellement pratiquée par les douanes, quand le titulaire de droit n’engage pas de poursuite, et ce même en l’absence de décision judiciaire. Ainsi, toute marchandise soupçonnée de contrefaçon peut être détruite, sous contrôle des agents des douanes, si le demandeur de la retenue a confirmé par écrit, et par une expertise détaillée, dans le même délai de 10 jours à compter de la notification de la retenue (3 jours pour les denrées périssables) le caractère contrefaisant des marchandises et s’il consent à la destruction sous sa responsabilité. Le détenteur des marchandises doit également approuver cette destruction. S’il reste silencieux dans ce même délai de 10 ou 3 jours, il sera réputé avoir consenti à ladite destruction.
L’article 10 de la loi étend par ailleurs la procédure dite du « coup d’achat », procédure par laquelle un douanier peut se constituer par l’achat de produits, la preuve de la contrefaçon, aux droits de propriété industrielle autres que les marques, ainsi qu’ au droit d’auteur. Cette procédure est tout particulièrement utile pour lutter contre la contrefaçon sur internet.
De même, les articles 12 et 13 de la loi simplifient le contrôle des autorités douanières sur certains lieux particulièrement sensibles. D’une part, l’accès aux locaux des opérateurs postaux et des entreprises de fret express est facilité dès lors que sont susceptibles d’y être détenus des envois renfermant ou paraissant renfermer des produits contrefaisants, ainsi que des sommes, titres ou valeurs se rapportant à ces infractions. D’autre part, les autorités douanières disposent d’un accès aux bases de données de ces opérateurs postaux et de ces entreprises de fret express.
Des garanties sont toutefois prévues afin que la finalité de ces dispositifs soit uniquement la recherche des délits douaniers.
Les dispositions de cette loi aboutissent au final à modifier tout aussi bien le Code de la Propriété Intellectuelle et le Code des douanes que le Code de la sécurité intérieure et celui des Postes et des Communications Electroniques.
Certes cette loi résulte de la volonté de développer l’arsenal anti-contrefaçon tout comme de la nécessité d’harmoniser notre législation nationale avec le droit communautaire. Se pose cependant la question de savoir si elle constitue une véritable réforme législative ou une simple clarification de la loi du 29 octobre 2007 harmonisant le droit français sur la directive 2004/48 du 29 avril 2009 relative au respect des droits de propriété intellectuelle.
On observera tout particulièrement le silence de la loi sur la question du transit tiers tiers.
Toutefois, à cette même date du 26 février, le Parlement de l’Union européenne a adopté dans le cadre des discussions sur les projets de modification de la Directive Marque et du Règlement sur la marque communautaire des dispositions permettant aux douanes de retenir dans certaines conditions les marchandises en provenance de pays tiers et circulant en transit sur le territoire de l’Union européenne.
Le droit français devra en conséquence une nouvelle fois être revu pour en tenir compte sauf à ce que le législateur français considère que n’ayant ni prévu ni interdit une telle retenue à l’encontre de marchandises en transit tiers tiers, elle est implicitement autorisée.