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2011/09 > Le remplissage de bouteilles de gaz par un concurrent : Un acte de contrefaçon ?

Doit-on qualifier de contrefaçon de marque le fait pour une société B de réutiliser un contenant d’abord vendu par une société A, et dont la forme est protégée par une marque tridimensionnelle, pour le remplir avec le produit de la société B ?

De même, y a-t-il contrefaçon dans le cas où la marque de la société B est apposée sur le contenant, alors qu’il porte encore la marque de la société A de façon visible pour le consommateur ?

Le 14 juillet 2011, la Cour de Justice de l’Union Européenne s’est prononcée pour la première fois sur ces questions (CJUE, 14 juillet 2011, affaire C-46/10, Viking Gas A/S v. Kosan Gas A/S).

Jusqu’à présent, la réponse traditionnellement donnée par les tribunaux français à la première était positive, la deuxième question étant jugée non pertinente du fait des droits existants sur la marque de la société A sur la forme du contenant lui-même.

La position adoptée par la CJUE procède d’une analyse différente : en premier lieu, la Cour considère que les bouteilles de gaz ne constituent pas simplement un emballage du produit original ; elles sont destinées à être réutilisées plusieurs fois et disposent donc d’une valeur économique indépendante et intrinsèque. La vente de ces bouteilles doit donc être considérée comme ayant épuisé les droits d’origine sur celles-ci et les consommateurs doivent donc se voir transférer le droit de les utiliser librement, en ce y compris le droit de les échanger ou de les faire recharger. A défaut, les consommateurs se retrouvaient liés à un unique fournisseur de gaz en raison de droits de marque que celui-ci détient sur ce contenant et la concurrence s’en trouverait alors faussée.

La société A ne peut dès lors s’opposer au remplissage par la société B que pour des raisons légitimes. La Cour estime que ces raisons légitimes peuvent exister notamment si l’état du produit concerné est modifié ou est rendu déficient après qu’il ait été mis sur le marché, ou encore si l’utilisation par la société B préjudicie à la réputation de la marque de la société A ou crée l’illusion qu’il existe un lien commercial entre les deux sociétés concernées.
Au regard des pratiques dans le secteur et, en particulier, de la pratique habituelle des consommateurs de faire recharger leurs bouteilles de gaz par différents fournisseurs, la CJUE décide qu’il existe de faibles chances pour que ceux-ci croient à l’existence d’un lien économique entre les deux sociétés en cause.

En outre, pour la Cour, le fait que les bouteilles de gaz de la société A conservent la marque d’origine, en sus de l’étiquetage apposé sur ces bouteilles par la société B, permet au consommateur d’être informé que les bouteilles ont été à l’origine vendues par la société A, ce qui supprime tout risque d’association entre les deux sociétés.
En parallèle de cette décision, une autre question préjudicielle a été portée devant la CJUE sur le même sujet. Elle concerne cette fois le remplissage de cannettes destinées à l’exportation et conservant la marque du produit d’origine. L’avocat général a suggéré dans cette affaire le 14 avril 2011, de répondre que le simple remplissage des contenants portant une marque protégée ne constituait pas un usage de cette marque dans la vie des affaires, lorsque le remplissage est une prestation rendue à la demande d’un tiers (Aff. C-119/10, Frisdranken Industrie Winters BV v. Red Bull GmbH). La CJUE ne s’est pas encore prononcée.

Quoi qu’il en soit et à l’avenir, les tribunaux français devraient donc modifier leur jurisprudence. Cela signifie que le remplissage de contenants devrait désormais être considéré comme non contrefaisant même si la marque apposée à l’origine demeure, et qu’une seconde marque est ajoutée sur ce contenant. Cependant, la loi française pose difficulté pour l’application de cette solution.

L’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit, en effet, que sauf autorisation du propriétaire, la suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée sur les marchandises est un délit.

En outre, l’article L. 217-2 du Code de la consommation prévoit l’interdiction de toute altération frauduleuse, masquage ou modification des noms ou des signes qui sont apposés sur les marchandises et servent à les identifier physiquement ou par voie électronique.

Plusieurs décisions ont par le passé été adoptées sur la base de ces articles, interdisant tant la suppression de la marque d’origine que le remarquage des produits, pour le plus grand avantage des titulaires de marques.

L’avenir nous dira si les tribunaux français abandonnent complètement leur jurisprudence traditionnelle ou s’ils résistent à l’encontre de cette nouvelle limitation au droit des marques que vient d’apporter la décision rendue par la CJUE.

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